Suite à notre texte concernant l’allocution d’Houria Bouteldja, il nous a été demandé notre avis concernant l’UJFP. Cette organisation possédant une certaine visibilité dans le milieu progressiste, il nous a semblé nécessaire de clarifier notre position.
La création d’une organisation spécifique juive centrée sur la solidarité avec les palestinienNEs telle que l’UJFP est historiquement une réaction aux courants idéologiques sionistes qui présentent le sionisme comme la seule expression politique légitime au sein de la minorité juive et la seule identité juive possible. Toute critique de l’Etat d’Israël ou du sionisme est ainsi disqualifiée comme antisémite par essence. Par ailleurs certains courants antisémites tentent d’identifier Juifs-ves, sionistes, État et colonialisme israélien.
Des militants et militantes qui s’étaient jusque-là investiEs dans les luttes anticoloniales sans nécessairement y mettre en avant leur identité ou leur filiation juive (sans non plus nécessairement la nier ou la masquer dans un cadre personnel), se sont sentiEs contraintEs de le faire dans la logique du « pas en notre nom », en réponse aux discours des sionistes d’une part et des antisémites d’autres part.
Cette démarche est louable et nous ne pouvons qu’être favorables à l’existence d’organisations spécifiques juives soutenant le combat du peuple palestinien contre l’oppression.
Elle représente cependant le constat d’un échec dans la lutte contre l’antisémitisme. En effet, elle entérine l’idée selon laquelle être Juive ou Juif c’est nécessairement se positionner sur la question israélo-palestinienne, c’est nécessairement être considéré à priori comme favorable au sionisme et donc forcé de s’en dissocier explicitement.
Le sionisme, dans ses différentes variétés idéologiques, est une idéologie très présente parmi les Juifs et les Juives de France. Il a réussi à développer une influence idéologique majoritaire au sein d’un grand nombre d’institutions communautaires. Il ne mène pourtant ni à notre émancipation, ni à la coexistence pacifique des populations vivant en Israël / Palestine, et ce quels que soient les courants idéologiques qui s’en réclament (y compris les sionismes ouvriers). Se revendiquant du peuple juif dans son ensemble, les différents courants du sionisme, considérant l’antisémitisme comme inéluctable et présentant Israël comme un refuge pour les Juifs et les Juives, cherchent à nous enrôler dans un projet nationaliste, raciste et colonialiste.
Ces courants isolent ainsi la minorité juive, détournent l’aspiration à l’autodéfense et empêchent une compréhension réelle de l’antisémitisme et de son rôle dans la préservation du capitalisme, notamment en période de crise. En ce sens ils empêchent d’apporter une réponse efficace à l’antisémitisme. Nous tenons à préciser qu’ici nous parlons du sionisme selon ses conséquences réelles, et non sur ses intentions.
Pour cette raison il est nécessaire de le combattre au sein de notre minorité.
Comme révolutionnaires, nous pensons qu’il est nécessaire de soutenir les oppriméEs face au colonialisme, en étant solidaires de celles et ceux qui sont écraséEs par le colonialisme français comme des palestiniens et des palestiniennes face au colonialisme israélien. Se placer du côté des oppriméEs est la base d’une éthique juive et universaliste telle que nous la concevons.
Une démarche comme celle de l’UJFP, dans cette perspective, apparait au premier abord intéréssante, puisqu’elle contredit la volonté des organisations sionistes de faire taire toute critique de la politique israélienne en l’assimilant à de l’antisémitisme.
Pour autant, pour nous, Juif et Juives vivant en France, la nécessaire solidarité avec les Palestiniens et les Palestiniennes ne doit pas devenir un prétexte pour nier ou minimiser l’oppression antisémite.
Juifs et juives vivant en France subissent quotidiennement la diffusion d’un antisémitisme de masse. Cette situation, loin d’être abstraite, correspond à notre vécu. Cet antisémitisme se cache parfois sous le masque de la solidarité avec la Palestine et peut transparaître même chez des gens dont nous partageons d’autres combats. C’est le cas lorsque ceux et celles qui dénoncent l’antisémitisme sont immédiatement associéEs à des partisanEs du sionisme (le même mécanisme est à l’oeuvre lorsque ceux et celles qui dénoncent le racisme contre les MusulmanEs sont associéEs à des défenseurs ou à des défenseuses de l’islam politique) ; lorsque l’antisémitisme est condamné uniquement comme profitant au camp sioniste, mais non en tant que racisme ; ou encore lorsqu’il est nié, minimisé, ou considéré comme une invention de la propagande sioniste.
Lorsqu’une organisation juive choisit de faire l’impasse sur cette réalité (par exemple en minimisant l’antisémitisme pour faire pendant à l’instrumentalisation de celui-ci par les courants sionistes), lorsqu’elle nie l’antisémitisme de certains de ses alliés (le cas de René Balme est ici criant), elle prend le risque de servir de « caution juive » à tous les dérapages antisémites. La mise en avant d’une personne ou d’un groupe issu du rang des raciséEs pour légitimer un discours raciste est en effet une constante dans l’histoire du racisme (pour la minorité juive, l’exemple le plus frappant est celui de la secte Neturei Karta, groupe juif fondamentaliste qui soutient le régime iranien et estime que la Shoah est une punition divine causée par le sionisme, citée par tous les partisans de Dieudonné et de Soral).
La contradiction de l’UJFP découle notamment du fait qu’elle partage la même erreur d’analyse concernant la nature de l’antisémitisme contemporain que les courants sionistes et leurs alliés nationalistes français. Elle y voit une « importation du conflit israélo-palestinien » alors qu’il s’agit d’une production de l’idéologie nationale française et européenne, mais aussi du pouvoir colonial français au Maghreb qui protége la bourgeoisie. Qu’il s’appuie opportunément sur ce conflit n’en est qu’un élément tactique, certainement pas un élément essentiel.
L’UJFP s’est ainsi laissé entrainer sur le terrain même de ses adversaires sionistes : faire du conflit israélo-palestinien l’alpha et l’oméga du sort de la minorité juive en France. Une fois enfermé sur ce terrain, il ne lui reste que le déni ou la minimisation de l’antisémitisme comme tactique pour faire face au discours sioniste.
Nous ne pouvons espérer qu’une chose : c’est qu’elle rompe avec cet aveuglement et qu’elle se reprenne. Ceci dans l’intéret de la minorité juive, du combat antiraciste, et enfin de la solidarité anticolonialiste, que les dérives antisémites comme la complaisance vis à vis de l’antisémitisme ne font qu’affaiblir.
Quant à nous, notre démarche est différente. Nous reconnaissons la réalité de l’antisémitisme, nous contestons aussi bien l’analyse qu’en font les courants sionistes que celle de l’UJFP. Nous combattons l’idée que le sionisme soit la réponse à l’antisémitisme.
D’un point de vue révolutionnaire, le sionisme est donc une idéologie à combattre, mais ce n’est pas la cause de tous les maux de la société (le supposer relève clairement d’un mode de pensée antisémite). Ce n’est notamment pas lui qui crée le racisme à l’encontre des Juif-ve-s et des Musulman-e-s, qui répondent à des logiques internes à la société francaise et à son histoire. L’oublier aggrave la situation de la minorité nationale juive en légitimant un certain antisémitisme, tout en renforçant le sionisme par le biais de l’amalgame entre antisémites et opposantEs à la politique israélienne.
Nous sommes et nous serons toujours du coté des oppriméEs partout dans le monde, en France comme en Palestine.
Nous entendons marcher sur nos deux pieds : contre la réaction au sein de notre minorité, dont le sionisme et l’islamophobie font partie, et contre l’antisémitisme dont nous sommes victimes.
