A propos d’identité, de minorité nationale et de communautarisme…

Chaque fois que des personnes racisées sont amenées à s’auto-organiser pour faire face au racisme, elles sont confrontées à des réactions qualifiant leur démarche de « communautariste », « identitaire », etc. pour l’opposer à une démarche revendiquée comme universaliste. Cette analyse considère que toute organisation autonome des personnes racisées, comme par ailleurs des personnes opprimées par le patriarcat (femmes, LGBT), s’inscrit dans une démarche faisant d’une identité le point de départ d’une stratégie de lutte politique.

Le problème c’est que cette simplification opposant « universalisme » abstrait et « politique des identités » nie l’existence d’un courant qui a existé au travers de toutes les luttes d’émancipations (celles des personnes racisées comme celles des luttes féministes et LGBT) : le courant matérialiste. Un courant qui n’ignore pas l’aspect systémique des oppressions, qui ne nie pas leur matérialité ni la réalité de l’inégalité et qui affirme l’exigence d’émancipation universelle sans pour autant nier la manière dont cette matérialité affecte toute stratégie émancipatrice.

C’est dans ce courant que nous nous inscrivons. Notre démarche ne construit pas une lutte émancipatrice ou une démarche politique à partir d’une « identité » juive qui resterait à définir, mais à partir d’une situation sociale : celle (d’oppression) qui est faite à ceux et celles qui sont assignéEs à la judéité par le simple fait de leur filiation et qui constituent la minorité nationale juive.

Justement, la notion de minorité nationale permet d’aborder la question de l’antisémitisme, non pas de manière identitaire, mais de manière matérialiste : elle permet d’identifier l’antisémitisme comme l’oppression de la minorité nationale juive par la majorité nationale, qui fait suite à la formation de l’idéologie nationaliste et de l’Étatnation. Elle permet de comprendre pourquoi l’antisémitisme touche y compris des personnes qui n’ont aucun lien « positif » aux différents aspects des cultures juives (dans ses différentes déclinaisons séfarades, ashkénazes, mizrahim…) ou avec la religion juive, mais simplement un lien de filiation. Plus globalement elle permet d’aborder les différentes formes du racisme (populaires comme institutionnelles) comme l’oppression organisée de la majorité nationale sur les minorités nationales.

Cette oppression se structure depuis le XIXème siècle par la définition d‘une majorité nationale (c’est à dire l’ensemble de ceux et celles qui sont considéréEs comme des membres « naturels » du corps national) à partir de critères excluant les minorités : en France elle est historiquement blanche, européenne, et chrétienne. Les minorités nationales, parce qu’elles ne partagent pas ces critères qui structurent l’imaginaire et le « roman national », sont considérés comme des éléments étrangers, dont la loyauté est en permanence à démontrer et dont l’appartenance au corps national est sans cesse susceptible d’être remise en question.

L’oppression que subissent les minorités nationales dans le système raciste leur pose aux quotidien des problèmes spécifiques. C’est sur ce terrain qu‘elles développent leurs propres institutions (écoles communautaires, centres culturels, associations…). Cette situation peut également les contraindre à un entre-soi géographique dans les « quartiers-ghettos », qui est le plus souvent subi mais peut aussi être en partie choisi comme une tentative de se regrouper à l’écart de l’oppression raciste.

11393153_1440461586256832_8735968156729962009_nC’est sur ce terrain qu‘émergent et se se développent des courants idéologiques spécifiques et particularistes qui entendent répondre aux problématiques que subissent les membres des minorités nationales. Au sein de la minorité nationale juive, c’est par exemple le cas du sionisme, qui entend historiquement amener une réponse identitaire, nationaliste et particulière à la question de l’antisémitisme, à travers le soutien et la construction d’une entreprise coloniale en Palestine.

Les minorités nationales sont ellesmêmes traversées par les mêmes rapports d’oppression que l’ensemble de la société : rapports sociaux de classe, de sexe et de genre, racisme (qui existe au sein même de la  minorité nationale juive). Et comme dans le reste de la société, sans prise de conscience des oppriméEs de leur situation, l’idéologie dominante reste celle des groupes dominants. Les courants de pensée spécifiques au sein des minorités nationales peuvent donc avoir tendance à nier, minimiser ou reléguer à l’arrière plan la réalité de ces oppressions pour promouvoir des mythes à caractère identitaire ou nationaliste. L’objectif est alors de perpétuer les rapports d’oppression au sein des minorités nationales par « l’unification » de celles-ci en opposition à la majorité nationale et aux autres minorités. C’est la raison pour laquelle par exemple l’Union des Patrons Juifs de France est virulamment sioniste, et a remis en 2009 un prix antiraciste au ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux.

Les Juives et les Juives révolutionnaires ont donc à se battre sur ces deux fronts : contre l’antisémitisme dont illes sont victimes, et pour le développement d’une alternative sociale au sein de leur minorité nationale. L’auto-organisation des minorités nationales n’est donc pas une fin en soi mais un outil pour atteindre l’égalité sociale. Notre vision de l‘auto-organisation de la minorité nationale juive n’est pas identitaire : nous ne revendiquons rien de spécifique « pour les Juifs et les Juives », nous revendiquons l’égalité réelle pour notre minorité, au sein de notre minorité, et dans toute la société, et nous entendons mettre notre expérience concrète de l’antisémitisme au service de notre lutte.

Du fait que notre minorité est la cible de l’antisémitisme, il nous est imposé d’adopter une démarche révolutionnaire spécifique. Cela nempêche en aucun cas que celle-ci s’inscrive dans un combat antiraciste, de lutte de classes et révolutionnaire, plus global. Au contraire !

C’est l’un des éléments d’une stratégie antiraciste et révolutionnaire qui prend en compte l’effet de l’oppression subie sur les individus et les groupes. Cette stratégie s’inscrit dans la construction d’un large front antiraciste regroupant des personnes racisées auto-organisées sur des bases de classe et révolutionnaire. Ce front s’inscrivant dans un combat plus large regroupant les prolétaires appartenant aux minorités et à la majorité nationale pour l’abolition de toutes les oppressions.