Le 6 juin 2021, Jean-Luc Mélenchon était l’invité de l’émission Questions Politiques, sur France Inter. La discussion a porté sur un certain nombre de sujets, le leader de LFI y a notamment dénoncé l’obsession identitaire de l’extrême droite et de ceux qui n’utilisaient la laïcité que pour dénoncer la minorité musulmane ou a rappelé les tentatives d’Emmanuel Macron pour réhabiliter le collabo Pétain et l’antisémite Maurras, autant de constats que nous ne pouvons que partager.
Jean-Luc Mélenchon a également déclaré : « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Ça a été Merah en 2012, l’attentat sur les Champs Élysées en 2017. […] Donc tout ça c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà. C’est bateau tout ça. »
Suite aux réactions négatives ayant suivi la diffusion de l’émission, il a par la suite expliqué avoir voulu dire que les meurtriers choisiraient la date de leurs attaques en fonction notamment du calendrier électoral. Jean-Luc Mélenchon connait le poids des mots et a parlé quelques instants avant ces phrases d’une fabrication d’Emmanuel Macron par « l’oligarchie » qui « dans tout les pays du monde [a] inventé des types comme ça, qui sortait de rien. » Vu le contexte, la justification paraît donc douteuse. De ces déclarations du leader de LFI on comprend qu’une élite mal définie, l’oligarchie, œuvre secrètement par des manipulations diverses, parmi lesquelles des faux attentats, pour porter ses créatures au pouvoir partout dans le monde. La signification complotiste d’un tel discours est donc évidente.
Les discours complotistes, déjà re-popularisés à la suite du 11 septembre 2001, connaissent avec l’épidémie de covid-19 une diffusion de plus en plus large. Tous ont comme base l’interprétation de chaque événement comme action d’un lobby occulte et malfaisant œuvrant à la domination globale. Pour ceux qui adoptent cette vision du monde, les pseudo forces du mal (au choix francs-maçons, juifs, illuminatis, pédo-satanistes, etc.) ont des pouvoirs quasi-illimités : elles truquent les élections, inventent des faux attentats, fabriquent des épidémies, fomentent des révolutions, empoisonnent des vaccins, etc. Rien n’arrive sans qu’elles ne soient impliquées. L’antisémitisme est sans doute l’une de ces idéologies qui a rencontré le plus de succès, pour cette raison il est présent à un degré ou à un autre dans la plupart des théories complotistes actuelles. Sur ce sujet nous ne pouvons que vous conseiller cette vidéo de l’Extracteur consacrée aux références antisémites qu’on peut trouver chez certains leaders antimasques ou antivaccin : https://youtu.be/A2mEuwSaBVs
Dans une conception matérialiste, les dominants sont ceux qui possèdent le capital. Leur domination est visible par l’observation des rapports de production. Ils ne constituent pas un club ou une secte, mais des classes sociales traversées de contradictions internes. Dans une conception complotiste, le groupe dominant est celui qui a réussi à manipuler la société. Son pouvoir est dissimulé et ses membres se réunissent déguisés en sapins de noël chaque nuit sans lune pour se barbouiller de sang de poulet en dévorant des enfants chrétiens. Les conceptions matérialiste et complotiste sont donc totalement inconciliables.
Depuis son émancipation du PS, Jean-Luc Mélenchon s’est fixé comme mission la reconquête de l’électorat populaire. Estimant qu’une partie de celui-ci est tenté par le fascisme ou le complotisme, il choisit donc de s’adresser à eux. Cette volonté est compréhensible, mais il serait inconcevable qu’elle se réalise en sacrifiant le fond. Quand Jean-Luc Mélenchon choisit de parler d’oligarchie plutôt que de bourgeoisie ou de capitalistes, il utilise volontairement un terme compatible avec les discours complotistes, et il réalise le même type d’appel du pied inacceptable quand dans une phrase il sous entend que les attentats, comme celui d’Ozar Hatorah, seraient une manipulation à visée électorale, sans même en mentionner l’antisémitisme comme mobile ce qui concoure à une invisibilisation de celui-ci (parler des crimes antisémites uniquement pour en dénoncer l’instrumentalisation est monnaie courante). De plus, nous nous devons de rappeler que les « incidents » dont parle Jean-Luc Mélenchon sont en fait des meurtres, certains visant des enfants juifs. Inventer une conspiration au sujet de leur assassinat en vue de séduire un électorat tenté par le complotisme est un procédé immonde, une insulte indécente à leurs mémoires et aux familles endeuillées. Nous apportons à ces dernières toute notre solidarité.
A celles et ceux qui tentent de minimiser ou justifier ces propos pour en éviter une récupération par les réactionnaires nous disons : vous faites erreur. Ce n’est pas en validant un discours confus qu’on combattra efficacement la droite et l’extrême droite, mais en revenant à nos fondamentaux, en combattant la confusion d’où qu’elle vienne. Pas plus qu’on ne peut combattre le RN en adoptant son discours, on ne peut combattre les discours complotistes en adoptant leur vision du monde. Au contraire, le fascisme comme le complotisme se combattent en visibilisant les rapports sociaux existants, en construisant la conscience de classe et la solidarité des exploités face au capital. De plus, ce n’est pas la première fois que Jean-Luc Mélenchon tient un discours plus que limite sur ce type de questions : on a notamment ici en mémoire sa référence aux « oukazes du CRIF », accréditant l’idée d’un lobby juif dictant ses consignes au gouvernement français.
Enfin, cette perméabilité aux discours complotistes est l’occasion pour une bonne partie des politiciens bourgeois, par ailleurs en pleine course à l’échalote islamophobe et réactionnaire, de se présenter comme les seuls « raisonnables » face à des « populismes » qui seraient équivalents. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui réagissent peu ou pas lorsque l’abject Darmanin érige en modèle les mesures antisémites napoléoniennes, qui soutiennent les manifestations policières ayant pour objectif la fin de l’État de droit, ou qui ne réagissent pas lorsque au lendemain de la déclaration de Jean-Luc Mélenchon un youtubeur fasciste à plus de cent mille abonnés diffuse une vidéo dans laquelle, sous couvert d’humour, il incite son public à s’armer pour s’en prendre aux « gauchistes » en faisant des allusions à LFI. Les réactions d’une personnalité comme Gilles-William Goldnadel sont ici exemplaires : intraitable vis-à-vis des attitudes complotistes ou antisémites pouvant venir de la gauche, bienveillant à l’égard des appels au meurtre ou des beuglements racistes de l’extrême droite.
Loin de tout opportunisme, nous avons quant à nous fait le choix de combattre le racisme et le complotisme, d’où qu’ils viennent, y compris s’il s’agit de notre camp social. Nous sommes également solidaires de celles et ceux qui sont ciblés par les appels au meurtre dont une certaine extrême droite est coutumière. Ils démontrent à nouveau s’il en était besoin que la reconstruction d’un large mouvement antifasciste est nécessaire. Elle ne pourra se faire qu’en rompant avec la confusion et non en opposant un complotisme de gauche aux complotismes de droite et d’extrême droite comme le fait Jean-Luc Mélenchon.
Face au complotisme, face au fascisme, la réponse est matérialiste !
