Nous avons pû entendre récemment dans le débat public des références positives à Pétain. Elles viennent notamment d’un candidat à la prochaine élection présidentielle qui a eu, entre autres sorties racistes, l’indécence de reprocher à la famille Sandler, victime de l’assassin Merah, d’avoir enterré ses morts en Israël. Nous avions déjà écrit un texte à son sujet, intitulé « Éric Zemmour et l’idéologie nationaliste française », en octobre 2019. Nous y évoquions déjà sa reprise de la théorie raciste, complotiste, et antisémite du « Grand remplacement ».
Ces références à Pétain reprennent la thèse classique du « bouclier », portée notamment par son avocat lors de son procès en 1945 et était en germe dès sa prise de pouvoir quand il assurait le 17 juin 1940 « faire à la France le don de sa personne pour atténuer son malheur ». Cette thèse a très tôt été contestée par des historiens, comme Joseph Billig (des 1955) Claude Lévy, Paul Tillard Henri Michel ou Eberhard Jäckel. Elle est complètement décrédibilisée depuis que Robert Paxton a publié en 1972 son ouvrage fondateur : « La France de Vichy ». Rappelons ici quelques points :
1 – Contrairement à ce que prétendent les défenseurs de Vichy, la politique de collaboration d’État n’avait pas pour but de jouer la montre en attendant une victoire alliée ou de maintenir une équidistance entre Allemagne et Royaume-Uni. Au contraire, elle visait à négocier avec Hitler pour obtenir à la France une place appréciable dans l’Europe nazifiée en échange notamment d’une participation à la lutte contre les Alliés. D’ailleurs les forces vichystes n’hésitent pas à s’opposer directement aux armées alliées dans les colonies, ou à s’associer aux troupes allemandes pour attaquer les maquisards. Si Vichy n’est jamais entré directement dans la guerre aux côtés de l’Axe, c’est uniquement car le régime nazi n’a jamais donné suite à ses sollicitations répétées.
2 – Dès sa prise de pouvoir, Pétain et ses partisans procèdent à la destruction du système républicain pour le remplacer par un régime dictatorial. C’est la « Révolution Nationale » et sa devise « Travail, Famille, Patrie ». Ce changement de régime ne répond en aucune manière à une demande allemande. Vichy adopte un grand nombre de lois qui visent à « régénérer » la France en reprenant les recettes des régimes autoritaires voisins : lois antisémites et antimaçonnes, mise au pas de l’enseignement, déchéances de nationalité pour près de quinze mille naturalisés (dont une partie de Juifs et de Juives, qui seront déportés par la suite), interdiction des syndicats, culte de la personnalité, etc.
3 – Alors que Pétain prétendait jouer le rôle de bouclier pour protéger les Français, les faits démontrent que son régime n’a protégé personne. Les pénuries alimentaires, l’inflation, ont touché la France autant que tout les pays occupés, la main d’œuvre française assujetie au travail forcé en Allemagne était équivalente en pourcentage de la population à celle de la Belgique et des Pays-Bas, deux pays pourtant sous administration directe des forces d’occupation allemandes. Vichy n’a pas non plus évité à la France les assassinats d’otages ou les massacres.
4 – Dès octobre 1940, Pétain adopte les premières lois antisémites : les Juifs et les Juives sont interdits de postes à responsabilité, le décret Crémieux est abrogé, les environs de Vichy leur sont interdits, les préfets sont autorisés à interner les Juifs et les Juives étrangers. Ces lois ne répondent en rien à des pressions allemandes, mais à l’antisémitisme de Pétain et de son gouvernement. Comme les autorités d’occupation, le régime vichyste prend part au vol des entreprises et des possessions juives, et la grande majorité des Juifs et des Juives déportés depuis la France ont été arrêtés par la police française. Les pétainistes font cependant une différence entre juifs français et juifs étrangers, et tentent donc un marchandage obscène avec les nazis, leur livrant les uns pour obtenir un délai pour les autres. Ce commerce de mort impliquant les autorités françaises n’a aucunement permis de sauver des vies, mais seulement que des juifs polonais, allemands, russes, roumains, ou français fraîchement denaturalisés, soient tués à la place de juifs ayant toujours la nationalité française. Ces pitoyables négociations n’ont pas empêché que des milliers de Juifs et de Juives français soient assassinés, parmi lesquels plusieurs milliers d’enfants. La Bulgarie tenta le même genre de calcul obscène que Vichy, avec plus de succès, préservant les Juifs et Juives de Bulgarie pour envoyer à la mort ceux résidant dans les zones que son armée occupait. Si on regarde les chiffres, environ 25% de la population juive vivant en France avant la guerre a été assassinée. Ce chiffre est certes moins élevé que ceux de la Pologne ou des Pays-Bas, mais il est comparable à celui de l’Italie, du Luxembourg, ou de la Belgique. Il est accablant si l’on compare au Danemark qui a organisé la fuite de sa population juive vers la Suède, alors même que le pays était intégralement occupé et ne bénéficiait donc pas des facilités qui auraient rendues plus facile à Vichy de procéder à une telle évacuation.
Pétain n’a pas sauvé des vies juives, prétendre le contraire est simplement négationniste. Il n’a pas non plus mérité des hommages pour son rôle durant la Première Guerre mondiale. C’était un dictateur, un antisémite, et un assassin, sa mémoire ne mérite que l’opprobre et le mépris, de même que ceux qui œuvrent à la réhabiliter.
La défense par une partie de l’extrême droite de l’assassin Pétain ne doit pas nous surprendre. L’antisémitisme comme l’islamophobie sont en effet des parts essentielles de l’idéologie nationaliste française. L’un comme l’autre jouent un rôle majeur dans la définition d’une identité nationale fantasmée blanche et culturellement chrétienne. De plus, pour les nationalistes, la réhabilitation de Pétain tient de la même logique que la mise en avant des soit-disant « apports positifs de la colonisation » ou que la défense de l’intégrité de l’armée durant l’affaire Dreyfus (à laquelle Zemmour s’est également attelé) : il s’agit de falsifier l’histoire en niant tout les crimes que les autorités françaises auraient pû commettre pour la remplacer par une mythologie au service de l’impérialisme, du nationalisme, et du colonialisme français. Dans ce récit imaginaire, les minorités nationales n’ont aucune place.
Juifs, Juives, l’extrême droite est notre ennemie ! Pas une voix juive pour le négationnisme, l’islamophobie, ou l’antisémitisme !
