Ilan Halimi, 23 ans, était kidnappé le 21 Janvier 2006 par un groupe d’une vingtaine de personnes se faisant appeler le « gang des barbares », dirigé par Youssouf Fofana. La famille Halimi est contacté par les ravisseurs : ils exigent 450 000€ en échange d’Ilan. La famille ne payant pas, ils contactent un rabbin au hasard dans l’annuaire et lui somment de « réunir la somme dans sa communauté ». Pendant 24 jours, Ilan Halimi a vécu un vrai calvaire, humilié et torturé par ses ravisseurs. Le 13 février 2006,il est retrouvé agonisant avec des marques de tortures sur les rails du RER C. Il succombera à ses blessures.
L’assassinat d’Ilan Halimi est un crime antisémite qui a laissé des traces profondes chez les Juives et les Juifs de France. S’il n’est pas le premier crime antisémite ayant eu lieu dans l’après guerre (il y a eu notamment l’attentat de la rue Copernic ou l’assassinat de Sebastien Selam en 2003), il marque le début d’un nouveau cycle de violences antisémites, et d’une montée en puissance de la parole antisémite dans l’espace public.
Face à ce crime, deux attitudes politiques lourdes de conséquences se sont développées et ont conduit à un recul des luttes antiracistes :
- D’un coté une minimisation, un déni ou même une justification de la violence antisémite renvoyée à une « importation du conflit israélo-palestinien » en France. Cet antisémitisme est expliqué par un « effet boomerang » du sionisme, sans voir qu’il ne s’agit jamais que d’un prétexte à la haine raciale allant jusqu’à des assassinats racistes.
- de l’autre, une instrumentalisation de la nécessaire dénonciation de l’antisémitisme, pour diffuser un discours raciste faisant des « arabo-musulmans » les vecteurs d’un « nouvel antisémitisme » et minimiser ainsi la profondeur de l’ancrage historique de l’antisémitisme dans la société française.
En réalité, l’idéologie qui anime les tueurs d’Ilan Halimi prend sa source dans les stéréotypes antisémites les plus anciens. L’association des juifs et de l’argent est un stéréotype datant du moyen-âge européen. Le fait que ces stéréotypes se diffusent dans tous les secteurs de la société française, y compris ses minorités, est la preuve qu’ils sont partie intégrante de l’idéologie dominante et non d’une tendance antisémite qui serait spécifique à ces minorités.
Les attitudes politiques de minimisation ou d’instrumentalisation de l’antisémitisme se rejoignent dans leur volonté de dissocier le combat contre l’antisémitisme du combat contre tous les racismes. Or, si l’antisémitisme, comme toutes les formes de racisme, possède ses spécificités, il s’inscrit dans un système raciste global dont découle une vision du monde. Il nous faut donc travailler à une réponse globale, qui évite deux écueils : celui de l’isolement de la lutte contre l’antisémitisme ou de sa minimisation, et celui de son utilisation à des fins racistes. En effet, ces deux attitudes politiques ont pour effet de décentrer la question de la lutte contre l’antisémitisme en elle même et comme aspect de la lutte antiraciste en général pour la subordonner à des agendas qui lui sont extérieurs. Cela a eu pour effet d’isoler la minorité juive et de l’exposer encore plus violemment à l’antisémitisme, ainsi que de faire reculer le front global contre le racisme : alors que les victoires des uns pouvaient alimenter celles des autres jusque-là, on en est venus à partir du début des années 2005 à opposer les avancées des luttes des uns et des autres pour le plus grand bonheur des racistes.
Or on voit bien, à travers l’exemple d’un Eric Zemmour que l’antisémitisme, l’islamophobie et le racisme vont de pair : le même qui stigmatise les musulmans, les noirs et les arabes, fait oeuvre de révisionnisme en tentant de réhabiliter Pétain ou Maurras et justifie le massacre colonial par Bugeaud des juifs et musulmans algériens lors de la conquète colonial. Il n’est pas le seul dans son genre, faisant mentir celles et ceux qui tentent d’opposer la lutte contre l’antisémitisme à la lutte contre l’islamophobie et aux autres formes de racisme. On le voit donc, quand progresse l’un ou l’autre des thèmes racistes, c’est inévitablement l’ensemble de ceux-ci qui progressent.
Nous pensons donc qu’il faut nous sortir de l’ornière dans laquelle ces deux visions ont enfermé nos minorités :
- En combattant l’antisémitisme pour lui-même, en incluant ce combat dans le combat général contre les racismes et en refusant la tendance à le minimiser ou à minimiser les autres formes de racisme. En refusant que se tiennent, prétenduement au nom de la lutte contre l’antisémitisme, des discours racistes.
- En cessant de subordonner la lutte contre l’antisémitisme à la question israélo-palestinienne : la condition des Juifs et des Juives en France est une condition minoritaire, dans un pays qui possède une longue tradition antisémite qui date de bien avant le sionisme et la constitution de l’État d’Israël. Quelles que soient leurs relations avec cet État, son gouvernement, sa politique, les Juifs et Juives subissent l’antisémitisme structurel de la société française.
L’année dernière, nous participions à un rassemblement à cette date, en souvenir de cet assassinat, car il ne faut jamais oublier celles et ceux qui ont été tués parce que juifs. Nous remercions à nouveau tout celles et ceux qui étaient présent·e·s à ce rassemblement en mémoire d’Ilan, pour commémorer ce meurtre qui fût fondateur pour JJR.
Ensemble, continuons la lutte, contre l’antisémitisme, contre tout les racismes, pour qu’il n’y ait plus jamais d’autres Ilan Halimi !
