Le RN au groupe d’études de l’Assemblée sur l’antisémitisme ?

Le 9 novembre, le RN s’est proposé de diriger le groupe d’études consacré à l’antisémitisme à l’Assemblée Nationale.
Cette proposition a été rejetée. Le RN a obtenu, en échange, des groupes d’études en lien avec la ruralité.

La composition et la présidence des groupes d’études à l’Assemblée Nationale n’est pas anecdotique : il s’agit pour ces groupes de mener une veille juridique et technique sur des sujets spécifiques permettant ensuite de donner une orientation au travail parlementaire d’écriture des lois.

Cette proposition n’a pas abouti mais elle montre une volonté toujours plus offensive du RN de se positionner sur le sujet de l’antisémitisme. Sa demande de prendre en charge un groupe d’études sur ce thème n’est qu’un pas de plus dans sa stratégie de dédiabolisation et de normalisation, opérée depuis plusieurs années et couronnée récemment par le rapprochement entre le couple Klarsfeld et Louis Aliot à Perpignan.
Un succès pour le RN, qui ne s’est pas privé de l’afficher fièrement. 

La perspective de voir le RN prendre en charge un groupe d’études sur l’antisémitisme a provoqué un tollé dans le monde politique et dans la presse et une très large part des organisations juives a exprimé son effroi.

Louis Aliot présentait déjà il y a quelques années sa stratégie : « La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam… C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… A partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. »
(article de Libération du 27 juin 2017, lien en fin de texte). Il posait alors clairement les raisons de son intérêt pour l’antisémitisme, qui n’est manifestement pour lui ni un enjeu moral ni un enjeu social, mais seulement une stratégie électoraliste.

Nous ne comptons plus les sorties et les amitiés racistes, antisémites et négationnistes des membres du RN qui pensent pouvoir se refaire une image sur le dos des oppressions subies par les membres de notre minorité. Nous ne pouvons que renvoyer ce parti à son histoire et rappeler qu’il a été fondé par d’anciens collaborationnistes, notamment Pierre Bousquet, ancien Waffen-SS. Jean-Marie Le Pen appelait en 1987 les camps de concentration « un détail de l’histoire » : un détail qui a décimé nos familles. Un article de Mediapart du 9 novembre 2022 liste toutes les sorties antisémites de Jean-Marie Le Pen et d’autres cadres du FN/RN depuis sa création ; cet article renvoie également à une enquête de BuzzFeed, qui a recensé tous les tweets, posts facebook, et commentaires racistes, antisémites et complotistes des candidats aux législatives de 2017. (liens en fin de texte) Passé et présent se répondent.

En célébrant les 50 ans du parti, le RN montre qu’il se situe dans la continuité de son antisémitisme et racisme historiques et n’a jamais rompu avec son passé. L’antisémitisme de l’extrême-droite est toujours bien présent et vient se nicher dans les théories du complot qu’elle affectionne tant. Pendant la crise sanitaire, les réseaux sociaux, et notamment les comptes se réclamant de l’extrême-droite, ont été de puissants vecteurs d’antisémitisme via ces théories du complot. Dans les manifestations anti-pass sanitaire organisées par l’extrême-droite, les dérives antisémites ont été nombreuses (port de l’étoile jaune avec la mention « non-vacciné », les pancartes « qui ? », les publications comparant les statuts des Juif·ves sous l’occupation et la situation des non-vacciné·es, etc). D’autre part, on sait bien que les liens entre Dieudonné, Soral et le RN sont étroits. Alain Soral a siégé au comité central du FN lorsque Marine le Pen, dont il était proche, en a pris la tête. Il a orienté stratégiquement une partie de la campagne du FN aux présidentielles de 2007. Jean-Marie Le Pen est le parrain de la fille de Dieudonné ; Marine Le Pen a volé régulièrement au secours de ce dernier au nom de la liberté d’expression.

Le récent changement de nom du Front National en « Rassemblement National » ne peut gommer ses origines idéologiques. Ce nom, « Rassemblement National » était d’ailleurs le diminutif du RNAS de l’Abbé Lambert, maire antisémite d’Oran de 1934 à 1941, admirateur de Franco et de Mussolini. Durant l’occupation a également existé un Rassemblement National Populaire, favorable à la collaboration et dont le logo reprenait la même flamme tricolore venue du fascisme italien qui est le logo historique du parti de Marine le Pen.

Récemment, alors que Marine Le Pen affiche en surface une volonté de faire oublier l’antisémitisme structurel de son parti, les militant·es ont voté à 85% pour Jordan Bardella à la tête du RN. Rappelons que Bardella, soutenu par des ex-membres du GUD, fut l’assistant parlementaire du député négationniste Jean-François Jalkh. Il a aussi repris régulièrement à son compte la théorie complotiste, antisémite et xénophobe du grand remplacement. Si Marine Le Pen souhaite faire oublier le rôle du RN dans la diffusion de cette théorie complotiste, Jordan Bardella soutient de son côté que l’expression « grand remplacement » pointe une réalité qui est juste ». Cela est une illustration de plus du double discours, à des fins stratégiques, tenu par les cadres de ce parti.

Nous ne pouvons pas ici répertorier tous les faits qui démontrent l’antisémitisme du Front national et de ses militants depuis longtemps, mais un bref survol des événements les plus récents atteste que l’antisémitisme est toujours d’actualité dans ses rangs. Malgré ces tentatives de ripolinage, l’antisémitisme fait partie de l’ADN du Rassemblement National et les rattrape à chaque fois que l’occasion se présente.

Dans ce contexte, on est en droit de se demander ce qui favorise à ce point la normalisation du Rassemblement National, massivement présent à l’Assemblée Nationale. La réponse se trouve probablement dans les jeux d’alliance entre les partis de droite et le Rassemblement National. Mercredi 29 juin dernier, 6 député·es RN ont obtenu les postes convoités de questeur·ses, vice-président·es et secrétaires. « Elus à la vice-présidence avec 290 voix pour M. Chenu et 284 voix pour Mme Laporte, les candidats du RN ont mathématiquement bénéficié des voix de la majorité présidentielle et de la droite puisque le groupe RN ne compte que 89 membres » (Le Monde article du 29 juin 2022, lien en fin de texte). Les député·es, pourtant si enclins à réclamer à leurs électeur·ices de faire barrage à l’extrême droite, ne semblent en réalité pas considérer l’élimination du fascisme comme une priorité. Les récentes élections générales en Italie, propulsant Georgia Meloni (Fratelli d’Italia, parti d’extrême-droite) au pouvoir, sont un avertissement pour l’Europe : les alliances entre partis de droite et d’extrême-droite ont eu raison du « front républicain ».

Lorsque l’on sait la tendance de la droite et de l’extrême-droite à tomber en piqué sur les questions d’antisémitisme, on se dit encore une fois que la négligence de la gauche à l’endroit de la problématique de l’antisémitisme a des conséquences : elle crée un vide, que la droite et l’extrême-droite s’empressent de combler. Non par intérêt sincère pour la sécurité des Juif·ves, ni pour se joindre aux luttes contre le racisme et l’antisémitisme, mais au service d’une logique coloniale de mise en concurrence des minorités. Nous vous renvoyons à l’excellent post de notre camarade Jonas Pardo « Hold-up du Rassemblement National sur la lutte contre l’antisémitisme », du compte instagram et facebook @ateliercontrelantisem, en lien à la fin du texte. Les Juif·ves ne représentent en France qu’ 1% de la population : briguer les voix des électeur·ices juif·ves n’a que peu de sens sur le plan électoraliste. D’ailleurs, la stratégie du RN ne se situe pas là. Il s’agit de poser les bases d’un clivage au sein de la société française. Le RN fait d’une pierre deux coups : il continue d’œuvrer tranquillement à la respectabilité de son parti en instrumentalisant la lutte contre l’antisémitisme, et clive les minorités en renforçant l’illusion d’un nouvel antisémitisme arabo-musulman.

Nous savons bien que l’antisémitisme n’a rien de nouveau, et fait partie de manière structurelle des fondements idéologiques du RN : c’est même son ancrage.

Nous restons en vigilance concernant le dangereux positionnement du RN sur le sujet de l’antisémitisme, dont nous savons bien qu’il n’est qu’une monnaie d’échange. Un parti pétri de racismes et de xénophobie ne peut être sincèrement engagé dans la lutte contre l’antisémitisme. Nous ne sommes pas dupes et nous connaissons les fondements idéologiques du RN dont les député·es d’aujourd’hui sont les héritier.es de ceux qui ont assassiné nos familles hier.

Nous,  membres de JJR, refusons que la lutte contre l’antisémitisme devienne le terrain de jeu d’un parti politique raciste et antisémite qui n’a jamais été et ne sera jamais du côté des Juif·ves. Ce terrain, nous l’occupons et l’occuperons par la diffusion de nos idées, l’accompagnement des luttes progressistes, l’auto-organisation face aux individus ou groupes qui menacent nos existences ou la mémoire des victimes de l’antisémitisme. 

Nous appelons à la mobilisation populaire contre le fascisme et le RN qui reste et restera toujours un ennemi des travailleurs et travailleuses, des personnes précaires, des femmes, des LGBT, de la minorité juive comme de l’ensemble des minorités non blanches.

https://www.mediapart.fr/journal/politique/091122/fonde-par-un-ancien-waffen-ss-le-rn-brigue-la-presidence-d-un-groupe-de-travail-sur-l-antisemitisme?utm_source=global&utm_medium=social&utm_campaign=SharingApp&xtor=CS3-5

https://www.buzzfeed.com/fr/davidperrotin/enquete-fn-legislatives

https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/29/a-l-assemblee-le-rassemblement-national-obtient-deux-des-six-vice-presidences-la-nupes-denonce-un-arrangement-avec-la-majorite-presidentielle_6132619_823448.html)

https://www.liberation.fr/france/2014/06/27/au-fn-l-antisemitisme-n-est-pas-un-detail_1052393/