Le CRIF vient de commander à l’institut de sondage IPSOS une étude intitulée « Le regard des Français sur l’antisémitisme et la situation des Français juifs – 2024 ». En plus des critiques sur l’orientation du CRIF, si la méthodologie d’une telle étude doit être critiquée (panel réduit, sondage en ligne et sur volontariat…), on peut en tirer quelques pistes d’enseignements tout en formulant des réserves. Une analyse matérialiste du racisme devant avant tout partir du réel et des faits, il ne saurait cependant être question de la balayer d’un revers de main sous prétexte que ses résultats ou ses commanditaires ne conviennent pas à certain·es à gauche.
Cette étude nous apprend plusieurs choses. Déjà, nous pouvons remarquer que l’islamophobie reste extrêmement diffusée dans la société. 28% des sondé·es pensent que les Musulman·es sont majoritairement mal intégré·es. 23% estiment entretenir des mauvaises relations avec les personnes musulmanes. 50% se disent inquiet·es ou agaçé·es à la vue de femmes voilées. 55% disent qu’ils réagiraient mal si leur fille épousait un homme musulman. Le constat est proche quand les questions portent sur les personnes d’origine maghrébine ou sub-saharienne. De manière prévisible, plus les personnes interrogées sont situées à droite sur l’échiquier politique, plus ces chiffres sont élevés.
En ce qui concerne l’antisémitisme, l’étude a mis les sondé·es face à des affirmations avec lesquelles ils pouvaient ou non être en accord : « les Juifs sont plus attachés à Israël qu’à la France » (52% d’avis positifs) ; « les Juifs sont plus riches que la moyenne des Français » (46%) ; « les Juifs utilisent la Shoah pour défendre leurs intérêts » (44%) ; « les Juifs sont responsables de la mort de Jésus » (23%) ; etc. Sur les 16 affirmations proposées, 46% des sondé·es en validaient au moins six considérée par les auteurs du sondage comme antisémites. Si l’on différenciait par proximité politique, ce chiffre montait à 55% chez les sympathisant·es LFI, proche du RN (52%) mais loin devant les autres forces politiques (le score le moins élevé étant EELV, avec tout de même 29%). De la même manière, les personnes s’identifiant à LFI étaient celles parmi lesquelles on trouvait le plus fort taux de réponses problématiques sur un certain nombre d’autres questions posées ensuite : 44% jugent qu’on en fait trop avec la mémoire de la Shoah (35% pour le RN ; 18% pour EELV ; etc.) et 20% estiment que le départ de certain·es Juif·ves serait « plutôt une bonne chose pour la France » (15% pour le RN).
La suite du sondage est celle ou le biais du commanditaire du sondage ressort le plus. Elle porte sur la perception de l’État, du peuple et du gouvernement israélien (les trois sont différenciés). Ceux-ci sont mal perçus à gauche et mieux vus par les personnes proches de LR, RN et LREM, ce qui semble cohérent si l’on voit la couleur politique de la coalition actuellement au pouvoir en Israël, mais pose question quand à l’identification des citoyen·nes avec leur gouvernement. L’étude continue par des questions portant sur le conflit actuel : la guerre menée par Israël est ici particulièrement bien perçue par la droite, avec un score très élevé pour les sympathisant·es LR : 58% d’entre eux pensent que « la réaction d’Israël dans la bande de Gaza est appropriée » (32% dans la population générale) et 74% estiment que « même si des civils palestiniens sont touchés, il est normal qu’Israël prenne les mesures nécessaires pour se défendre » (43% dans la population générale). Enfin, le sondage se termine par des questions portant spécifiquement sur le RN (qui reste marqué par l’antisémitisme pour 58% des sondé·es) et sur Jean-Luc Mélenchon (dont les déclarations sont antisémites ou contribuent à l’antisémitisme pour 76% des sondé·es).
Sans prendre forcément les résultats au pied de la lettre, un sondage pouvant être orienté, ces chiffres ne nous semblent pas pouvoir être ignorés. D’autant plus qu’ils confirment ce que nous vivons depuis longtemps au sein de notre minorité. Pour nous, les principaux constats de cette étude sont les suivants :
– La diffusion d’une islamophobie, d’une arabophobie et d’une négrophobie massive, particulièrement à droite et à l’extrême-droite
– Un soutien fort accordé par les mêmes forces politiques à la guerre criminelle menée par Israël
– L’existence d’un antisémitisme virulent chez une fraction importante de la population
– Une sur-représentation massive des opinions antisémites parmi les sympathisant·es LFI et RN
Une conclusion s’impose : la mobilisation en solidarité avec les minorités musulmane, noire, arabe, et en solidarité avec le peuple palestinien est nécessaire, ces sujet est loin d’être gagné au sein de la population. Cela passe par la lutte contre la droite et l’extrême-droite, qui sont porteuses des discours les plus réactionnaires en ce domaine. Dans le même temps, il est prioritaire de cesser de faire l’impasse sur la lutte contre l’antisémitisme qui gangrène aujourd’hui nos luttes. Cela fait près de dix ans que JJR dénonce cette contagion, force est d’avouer que le refus d’une partie de la gauche de la prendre en compte n’a fait que l’aggraver. Si les Juif·ves ne se sentent plus représenté·es par la gauche tandis que les antisémites votent pour elle, c’est qu’il y a un problème !
Prenons le problème du racisme et de l’antisémitisme à bras le corps, il y a urgence !

