Rappel des faits : Le tribunal correctionnel de Paris a condamné jeudi à six mois de prison avec sursis un homme poursuivi pour provocation à la haine raciale après avoir porté un maillot avec inscrit « anti juif » dans le métro parisien.
Mehmet D. a également été condamné à une obligation de soins, à un stage de citoyenneté, ainsi qu’à payer des dommages et intérêts aux parties civiles.
Le jeune homme de 28 ans avait été photographié le 21 octobre dans le métro parisien vêtu d’un maillot de foot de l’équipe de Manchester floqué du message « anti juif » dans le dos.
Source : dépêche AFP du 12 décembre 2024
Nous publions le témoignage d’une personne présente dans le wagon de métro où l’homme portant un maillot floqué « anti juif » est monté. Souhaitant rester anonyme, cette personne nous a confié le texte. Nous la remercions et invitons chacun et chacune à le lire.
« Depuis ce jour du camelot, je n’ai pas pu prendre un journal sans immédiatement repérer le mot qui dit ce que je suis, immédiatement, du premier coup d’œil. Et je repère même les mots qui ressemblent au terrible mot douloureux et beau, je repère immédiatement juin et suif et, en anglais, je repère immédiatement few, dew, jewel. »
Albert Cohen, Ô vous, frères humains (1972)
En prenant le métro comme tous les jours ce lundi 21 octobre, je ne pouvais pas imaginer que mon quotidien allait être percuté de plein fouet. J’ai vu un homme entrer dans la rame, il portait des lunettes de soleil et un maillot de foot, quand il s’est retourné pour s’appuyer contre un siège j’ai vu les mots inscrits derrière.
J’ai cru mal lire, que c’était mon cerveau qui me jouait des tours. Mais j’avais bien lu. Ce message, « Anti Juif », je pensais naïvement ne pas le voir affiché de mon vivant. J’ai été saisie d’une terreur que je ne peux fidèlement retranscrire autrement que par le besoin irrépressible de sortir de la rame. Je me suis sentie extrêmement seule et vulnérable face à ce message de haine, comme si le message m’était adressé directement et personnellement. Comme si ces mots m’avaient donné un coup de poing dans le ventre.
A la station suivante, je suis descendue précipitamment. Les jours d’après, j’ai eu du mal à faire le même trajet en métro et j’ai changé d’itinéraire. J’ai été plusieurs fois sujette à des angoisses en reprenant le métro. Cet événement a été difficile à vivre, je me suis sentie démunie et impuissante.
Ce jour-là, je sortais de la première journée d’une formation à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Si ça avait été une fiction, j’aurais moi-même dit que les scénaristes exagèrent et que l’on n’y croit pas. Ce télescopage est un peu grossier. C’était comme si l’histoire s’échappait des livres pour venir heurter mon présent. J’ai étudié l’antisémitisme, je connais ses représentations, ses formes, ses mutations et ses persistances.
Mais à quoi bon étudier un phénomène en long, en large, et en travers quand lorsque j’en suis témoin, je suis aussi démunie que si je ne connaissais rien ? Sans rien demander, j’ai été ramenée brutalement à ma condition. C’était lui qui arborait cette inscription sur son dos, mais la cible dans le dos, c’était moi qui l’avais.
Et si j’avais été dupée par une nouvelle ingérence russe ? Puisque nous vivons dans un mauvais thriller d’espionnage, après les mains rouges au Mémorial de la Shoah et les étoiles bleues sur les murs de la capitale, pourquoi pas un maillot de foot dans le métro ?
C’est d’ailleurs ce que beaucoup de commentateurs armés de leurs claviers sur les réseaux sociaux ont écrit à la vue des photographies du maillot qui ont circulé : c’est trop gros, c’est un montage, encore un coup du Mossad et des sionistes – qui eux aussi ont le dos large.
Finalement ni ingérence ni photoshop, ce n’était qu’un honnête antisémite qui a voulu humblement en faire la publicité. Sur le site de la marque Puma, où a été confectionné le flocage du maillot – sans que personne ne soit inquiété –, son auteur a déclaré avoir voulu écrire « Anti Tsahal », mais ça ne rentrait pas et « Juif » c’est plus court, il n’y a que quatre lettres. Donc à quoi ça tient finalement ?
C’est tellement absurde que je ne peux m’empêcher de faire des blagues. Un psy expliquerait que c’est une mise à distance. Je pense au contraire qu’en blaguant, je suis très proche du sujet. J’ai aussi ressenti le besoin de relativiser ce qu’il s’était passé. Je n’ai pas été agressée physiquement, on ne m’a pas invectivé. Il y a toujours pire. Déjà il aurait pu y avoir deux maillots…
Et puis comme si c’était un lot de consolation de savoir qu’il y a pire. « T’inquiète pas, il y a des personnes agressées, violées, tuées parce que juives ». C’est trop violent, incompréhensible et inimaginable.
Par notre naissance, le simple fait que nous existons, cela fait partie de notre réalité. Je ne l’accepterai jamais. Et sans vous commander, vous ne devriez pas non plus.

