Le 25 février, Jean-Michel Aphatie a déclaré au micro de RTL que la France avait commis « des centaines d’Oradour-sur-Glane » lors de la conquête de l’Algérie puis ajouté que « les nazis s’étaient comportés comme nous ». Suite à cette déclaration, une campagne s’est lancée, orchestrée par les médias Bolloré et par le Rassemblement National : Eric Ciotti le qualifiant « d’influenceur algérien » et Jordan Bardella dénonçant une « odieuse falsification de l’histoire et une insulte à tous les rapatriés d’Algérie ». Cédant à ces pressions, la direction de RTL a suspendu la chronique de Jean-Michel Aphatie à la suite de quoi celui-ci a annoncé quitter l’antenne. Relevons par ailleurs que la radio appartient au groupe M6 qui accueillera prochainement Cyril Hanouna et sa propagande d’extrême-droite.
Face à cette polémique, quelques faits :
Dans la bouche de Jean-Michel Aphatie, il s’agit de comparer les crimes, notamment les très nombreux massacres, commis lors de la colonisation à celui d’Oradour-sur-Glane, durant lequel 643 personnes furent mitraillées et brulées vives dans une église par des SS. Si cette comparaison peut être pertinente, la référence à l’Allemagne nazie fait inévitablement penser au génocide des Juif·ves et des Rroms, auquel le nazisme est fortement associé. Oradour sur Glane est un crime perpétré envers des populations civiles occupées. Il s’agit certes d’une histoire liée par ses auteurs, les nazis, à la Shoah, mais néanmoins distincte parce qu’elle met en œuvre la violence paroxystique d’une armée d’occupation et non des motifs antisémites ou racistes de type génocidaire. Jean Michel Aphatie a d’ailleurs à plusieurs reprise précisé qu’il n’établissait pas d’équivalence entre la Shoah et les massacres qu’il dénonçait.
Durant la colonisation, la France, puissance occupante, a perpétré de nombreux crimes contre l’humanité qu’elle peine toujours à reconnaître aujourd’hui (voire qui peuvent être célébrés, notamment à l’extrême-droite). Ceux-ci sont pourtant unanimement reconnus par les historien·nes sérieux. Quelques exemples, en restant conscient·es qu’il en existe bien d’autres :
– La conquête de l’Algérie par la France menée à partir de 1830 a fait au minimum plusieurs centaines de milliers de mort·es. L’une des figures emblématiques des crimes de l’armée française est Thomas Bugeaud, adepte des « enfumades » qui consistaient à asphyxier les populations qui s’étaient réfugiées dans les grottes pour fuir les combats. Plusieurs milliers d’Algérien·nes furent tué·es de cette manière. Une statue à Périgueux et plusieurs rues (à Brest, Tours, Marseille et Lyon notamment) célèbrent toujours le criminel Bugeaud.
– A la fin du 19e siècle, l’armée française envoie des missions militaires parcourir le Sahel pour signer de gré ou de force des traités vassalisant les chefs locaux. Partie en 1899, la mission Voulet-Chanoine massacre plusieurs milliers de personnes sur son passage, brûlant des villages, exécutant massivement des civils de tous âges et exposant leurs cadavres à titre d’exemple. L’affaire cause un scandale a Paris, mais est vite étouffée pour protéger le prestige de l’armée.
– En 1947, la population malgache se révolte contre la colonisation. Dix-huit mille soldats français sont envoyés sur place. La répression est féroce est compte son lot de crimes de guerre : prisonniers abattus ou jetés depuis des avions, villages entiers affamés, etc. Plusieurs dizaines de milliers de malgaches sont ainsi assassiné·es.
– En Indochine, la guerre menée par la France donne également lieu à de nombreux massacres. Pour ne citer qu’eux, le 29 novembre 1947 le village de My Trach est incendié par l’armée française, assassinant 310 civils. Quelques mois plus tard c’est au tour du village de My Thuy de subir la violence criminelle de l’armée : 526 personnes sont assassinées. Durant la guerre d’Indochine, l’aviation française utilise massivement le napalm et vise y compris des zones d’habitation. La guerre menée par la France en Indochine fait environ 500 000 victimes.
– A partir de 1955, l’armée française mène la guerre contre le peuple camerounais en lutte pour son indépendance. Les populations civiles sont déplacées et regroupées dans des « zones de pacifications ». Parallèlement, des zones interdites sont constituées dans lesquelles les soldats français détruisent les champs et les points d’eau. Cette guerre cause la mort de plusieurs dizaines de milliers de Camerounais·es.
Les crimes commis par la France dans les territoires colonisés sont nombreux et se poursuivirent même après les indépendances par des interventions directes et par le soutien apporté à des régimes criminels. Le Rwanda ne fût certes jamais une colonie française, mais l’intervention de la France s’inscrit dans cette histoire. L’aide apportées aux bourreaux hutus lors du génocide des Tutsi en leur fournissant des armes, de la formation et en permettant par l’opération Turquoise leur évacuation est emblématique du pire de la Francafrique et continue d’avoir des conséquences meurtrières dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Le refus des forces de la droite et de l’extrême-droite de reconnaître et d’enseigner ces crimes, de décoloniser les mémoires et les espaces publics, permet aujourd’hui la prolifération de discours négationnistes. Cette tendance touche y compris une partie de la gauche, notamment (mais pas uniquement) en ce qui concerne le bilan nécessaire sur le rôle majeur qu’a joué François Mitterrand dans l’histoire coloniale et post-coloniale de la France, de l’Algérie au Rwanda. Ces discours, comme tous les négationnismes, doivent être combattus. Il ne s’agit pas ici d’une « repentance » que personne n’exige mais de reconnaître les crimes commis par notre pays et de mettre en place des procédures de justice et de réparation.
Alors que les héritier·es de la frange la plus droitière du « parti colonial » et de l’OAS sont aux portes du pouvoir, alors que d’importants groupes médiatiques relaient leurs idées, alors que l’internationale réactionnaire entend falsifier l’Histoire et mettre la recherche scientifique au pas, regarder en face notre passé colonial est une nécessité si nous voulons combattre efficacement le fascisme, le racisme et le colonialisme !

