« A bas l’État, les Juifs et les fachos » : Itinéraire d’une désinformation

Samedi 22 mars 2025, une vidéo commence à circuler sur les réseaux sociaux : on y voit lors de la manifestation antiraciste ayant eu lieu le jour même un cortège scander « A bas l’État, les Juifs et les fachos ».

Dès le départ, la vidéo est suspecte : ni l’auteur ni le lieu ne sont précisés (il est au départ question de Nice, il s’avère finalement que les images proviennent d’Angoulême) ; le cortège semble calme et comprend des élu·es arborant une écharpe tricolore et des militant·es de Lutte Ouvrière (organisation qui n’a jamais été suspectée de dérive antisémite). Le slogan « A bas l’État, les flics et les fachos » est connu et fréquent dans les cortèges anarchistes, mais nous n’avions jamais entendu une version comme celle-ci. De plus, l’antisémitisme de gauche existe, mais il prend le plus souvent une forme cryptée, comme la reprise de tropes antisemites dans certains discours se présentant comme antisionistes. On se souvient au contraire des slogans « Juif, casse toi, la France n’est pas à toi » scandés lors de la manifestation d’extrême-droite « Jour de colère » en janvier 2014.

Tout incitait donc à la prudence dans cette vidéo.

Rapidement, France 3 Régions publie un démenti (https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/nice/verification-marches-contre-le-racisme-non-les-manifestants-n-ont-pas-crie-a-bas-l-etat-les-juifs-et-les-fachos-a-nice-3126835.html) puis les Debunkers de Hoax démontrent la manipulation (https://www.debunkersdehoax.org/un-22-mars-bien-charge-en-fake/) : L’audio a été modifié à partir d’une vidéo diffusée sur X (et relayée notamment par le SCSI, un syndicat d’officiers de police) dans laquelle on entend bien « A bas l’État, les flics et les fachos ». La nouvelle vidéo, une fois le trucage réalisé, a ensuite été mise en ligne par un compte d’extrême-droite autoproclamé « antigauche antiwoke antileftist ».

Cela n’a pas empêché la fake news d’être largement diffusée sur les réseaux sociaux et dans certains médias par des personnalités et médias aussi variés que Joann Sfar, Isabelle Balkany, Tribune Juive ou Sophia Aram.

Ce n’est pas la première fois que des fausses nouvelles concernant l’antisémitisme sont créées et diffusées. On se rappelle ici de la multiplication d’étoiles de David bleues dans la région parisienne, qui ont causé la panique dans une partie de la minorité juive et était en fait l’œuvre des services secrets russes. La confusion sur le sujet a en effet pour certains un intérêt politique ou géopolitique. Elle a une double conséquence : d’un côté elle accentue le sentiment d’isolement de la minorité juive, de l’autre elle fait douter la population non juive de la réalité de l’antisémitisme. Il est en effet plus aisé de dénoncer le trucage d’une vidéo que de s’engager pleinement dans une véritable critique de l’antisémitisme et de sa minimisation manifeste au sein du mouvement social. Dans le même temps, les actes réels se multiplient : le même jour, le rabbin d’Orléans Arié Engelberg subissait une violente agression antisémite (https://juivesetjuifsrevolutionnaires.fr/2025/03/24/agressions-antisemites-ca-suffit/).

Soyons donc vigilant·es : pour être combattu efficacement l’antisémitisme doit être pris au sérieux, ce qui implique d’être conscient·es des risques d’instrumentalisation.

Rappelons nous : l’extrême-droite ne sera jamais l’amie des Juif·ves !