Cas d’école de l’antisémitisme banalisé

⚠ Diffusion de contenu et d’images antisémites à des fins pédagogiques.

En l’espace de quelques jours, deux publications sur les réseaux ont attiré notre attention.

Le média « Les Répliques » partage quotidiennement des captures d’écran de commentaires de réaction à l’actualité. Il est massivement suivi sur plusieurs plateformes et se présente comme « Humaniste, progressiste, féministe, écologiste, anticolonialiste et antiraciste ». Le compte publie également des photographies prises lors de manifestations.

L’important n’est pas ce compte en tant que tel, c’est le contenu partagé qui nous intéresse ici.

Revenons tout d’abord sur la publication du 4 juillet.

« J’ai une question. Si le « frerisme » musulman, que personne ne voit : c’est mal et qu’il faut lutter contre… Comment on qualifie le crif, ces dîners, le lobby sioniste en général etc ? De frerisme aussi ? On lutte comment contre ? Car lui il est bien réel. » (Compte X @MarcAntoinePgnt)

Associée à quatre photographies, dont trois représentent l’ancien député Meyer Habib avec plusieurs personnes dont Netanyahu, ou encore une autre avec Yaël Braun-Pivet et Eric Ciotti. Une autre photographie représente Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, portant une kippa et s’adressant à un rabbin. Ce qui n’est pas dit c’est que la photographie a été prise lors de la cérémonie annuelle du souvenir en mémoire des déportés et des victimes de la Shoah en 2024 à la synagogue de la Victoire à Paris.

Chaque année a lieu le dîner annuel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), organisation qui fédère de multiples associations juives. Chaque année, cela suscite les mêmes commentaires vis-à-vis de la supposée docilité des politiques auprès d’un fameux « lobby ».

La focalisation sur le Crif est fréquente, particulièrement dans une partie de la gauche, mais aussi à l’extrême-droite;

Cf. les récentes attaques du Crif par le RN dénoncées dans notre post du 15/03 « Sous le masque hypocrite de la dédiabolisation, le RN propage l’antisémitisme ».

Quelques illustrations.

« Séparation du Crif et de l’Etat », utilisé ici par Civitas (mouvement chrétien intégriste d’extrême-droite) en 2017, slogan récurrent également dans une partie de la gauche.

« Génuflexion devant les oukazes arrogants des communautaristes du CRIF » (Jean-Luc Mélenchon, billet de blog du 13/12/2019)

« A la demande du Crif » – pour évoquer la position de la politique étrangère de la France (Rima Hassan, tweet du 22/05/2024)

« Crif = Contrôle de la Race Inférieure Française », Roger Cukierman, ancien président du Crif, avec un drapeau d’Israël, est représenté comme le marionnettiste de Manuel Valls et François Hollande (Manifestation pour Gaza en 2014)

Derrière « le Crif, ces dîners, le lobby sioniste en général », avec une photographie d’un ministre portant une kippa dans une synagogue, il ne fait pas grand doute de la signification du message et de son intention : les hommes politiques, et l’État même, sont sous l’influence d’un groupe de personnes qui complotent dans l’ombre. Ce mythe du complot juif est le plus fondateur de la vision du monde antisémite. Avec plusieurs figures juives comme avatars de cette toute puissance juive qui murmure à l’oreille des politiques (que ce soit la famille Rothschild, Jacques Attali ou Georges Soros), la cible du Crif est toute trouvée. Bien que nous ayons de profonds désaccords politiques avec cette association, lui prêter un pouvoir caché surdimensionné, est sans nul doute une obsession antisémite française.

Il est ici moins question de l’usage protocolaire des représentants de l’État vis-à-vis des cultes (qui implique à l’église : de se découvrir la tête, à la mosquée : de se déchausser, à la synagogue : de se couvrir la tête), que d’un antisémitisme évident qui voit dans cette image la preuve de l’influence juive sur la politique française.

L’emploi du terme « sioniste » plutôt que juif n’est évidemment qu’un faux alibi, notamment au regard de l’usage de la photographie de Retailleau portant une kippa lors d’une cérémonie mémorielle pour les victimes de la Shoah. Ce qui est visé, ce n’est pas le Crif, ses positions réelles ou supposées, l’influence réelle ou supposée des groupes d’intérêt pro-Israël en France, mais c’est bien les Juifs dans leur ensemble, à qui l’on prête un pouvoir démesuré.

Le « deux poids deux mesures » dénoncé vis-à-vis des Frères musulmans est sans objet. Promouvoir l’antisémitisme n’a jamais fait reculer l’islamophobie. Opposer complotisme antisémite au complotisme islamophobe (et réciproquement), c’est promouvoir les deux. Ce n’est pas agir pour l’antiracisme, c’est être soi même acteur du racisme.

Concernant la publication d’une photographie prise dans une manifestation pour Gaza (semble-t-il retirée depuis sans explication) :

« LE MONDE pense que Gaza est occupé par Israël mais la vérité est que LE MONDE est occupé par Israël sauf Gaza #FREE PALESTINE »

La pancarte désigne ici l’influence d’Israël qui serait internationale, par delà les frontières. Le monde entier serait à la merci d’une occupation d’un seul État dont la superficie est plus petite que celle de la Bretagne. Il y a là encore une fois le mythe d’une surpuissance juive qui domine le monde.

Cela n’a rien à voir avec un soutien envers les Palestinien·nes et tout à voir avec l’antisémitisme dans la lignée de l’extrême-droite la plus réactionnaire, des Protocoles des Sages de Sion ; de François Duprat, ancien numéro deux du FN, qui voyait Israël comme la face émergée d’une domination juive mondiale ; du GUD qui scandait il y a quelques années « Deauville, Sentier : Territoires occupés ! »

La figure du « Juif monde » est par ailleurs issue d’anciennes représentations antisémites où les Juifs sont représentés souvent sous forme animale (pieuvre, araignée, singe, serpent…) en vue de démontrer à la fois leur caractère nuisible et leur toute puissance sur le monde entier. Selon les époques et les contextes politiques, les représentations changent mais le message demeure le même.

La critique antisioniste n’est pas en soi antisémite. Elle l’est de manière irréfutable quand elle prête à Israël le rôle d’un occupant international : contrôle des grandes puissances, de la finance mondiale, et de l’ensemble des malheurs du monde.

Quelques illustrations.

Carte postale antisémite diffusée par le journal Le Franciste (Hebdomadaire de doctrine et de combat contre le judéo-marxisme) vers 1939.
L’Oligarchie et le Sionisme (2013), affiche du film complotiste antisémite de Béatrice Pignede, proche de Dieudonné et de Soral.

Soyons lucides et vigilant·es, cela passe par le fait de refuser la mise en opposition entre les racismes et de savoir décrypter la vision du monde antisémite qui se cache aussi parfois sous des apparences de faux progressisme.