Texte co-signé par l’UJRE – Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide
Le 6 novembre 2025, l’Orchestre Philharmonique d’Israël jouait à Paris. Plusieurs groupes avaient lancé des appels à l’annulation du concert. Notons ici que le boycott est une pratique habituelle lorsqu’il s’agit de lutter contre des crimes d’État. Régulièrement, des appels pouvant cibler des artistes sont lancés en solidarité avec le peuple ukrainien ou le peuple ouighour (avec beaucoup moins d’écho pour ce dernier, le gouvernement chinois exerçant à l’échelle internationale une pression très forte pour censurer les voix dissidentes ou opposées à sa politique coloniale). Il n’y a donc aucune raison pour qu’une telle méthode ne puisse également être utilisée pour faire pression sur le gouvernement israélien, des lors qu’elle s’inscrit dans des objectifs politiques clairs, progressistes, et fasse l’objet d’une réelle réflexion stratégique.
Dans ce cas précis, la dimension « d’ambassadeur culturel » de l’orchestre est indéniable et revendiquée par certains de ses dirigeants, l’Orchestre Philharmonique d’Israël bénéficie de subventions étatiques et offre la gratuité aux soldats en activité. Cependant, il n’est pas une institution d’État mais une coopérative possédée par les musicien·nes tandis que Lahav Shani, le chef d’orchestre qui dirigeait le concert a publiquement dénoncé à plusieurs reprises la guerre criminelle menée à Gaza et a participé à des initiatives pour le dialogue entre Palestinien·nes et Israélien·nes. La question se posait donc de la pertinence de la cible. Les choses étaient beaucoup plus tranchées pour les concerts d’Eyal Golan, chanteur ayant tenu des propos génocidaires à l’encontre des Palestinien·nes et soutenant les bombardements sur Gaza.
Le sujet qui est ici en jeu est en réalité l’objectif du boycott. Ici, il s’agit de marginaliser Israël avec l’idée que la seule porte de sortie serait la disparition de cet État. La pression internationale viendrait donc soutenir la lutte armée palestinienne. Pourtant si on a l’espoir d’influencer la société israélienne pour favoriser au sein de celle-ci l’opposition à la colonisation ou les luttes binationales, alors le boycott systématique des artistes israélien·nes est contre-productif. En effet, celui-ci pénalise également des voix critiques de la guerre (on l’a vu avec le film Oui, de Nadav Lapid), aggravant la mise au ban qu’ils subissent déjà en Israël. Cela pourrait même avoir pour effet d’inciter ces personnes à « faire bloc » autour de leur gouvernement, face à un boycott qui leur semblerait être une attaque contre l’existence même de l’État d’Israël et leur sécurité en tant que citoyen·nes de cet État, et non pas contre son régime politique ou la situation coloniale.
Remarquons que ce questionnement, encore une fois, n’est pas propre à Israël mais s’est également posé dans des termes proches concernant les artistes russes (encore que personne en France ne porte le projet d’un démantèlement de l’État russe). Concernant la question d’un double standard de la part de la Philharmonie, permettons-nous de noter que lorsque cette structure a déprogrammé des musicien·nes russes, il s’agissait d’artistes dont la proximité avec Poutine était avérée, cela ne découlait pas d’une politique visant tou·tes les artistes russes. Notons également que la question est différente de celle du boycott de personnes juives non-israéliennes : la demande d’annulation d’un concert d’Enrico Macias (comme début novembre dans le Morbihan) peut répondre à son positionnement politique, mais elle n’exercera aucune pression sur le gouvernement israélien ou la société israélienne. Elle s’inscrit dans une logique autre, interne à la société française et qui peut rapidement prendre une dimension antisémite. C’est ce qui explique d’ailleurs que la question puisse etre anxiogène pour beaucoup de Juifs et de Juives, d’autant plus qu’elle peut réactiver la mémoire de boycotts racistes.
Lors du concert de l’orchestre, plusieurs personnes ont tenté d’interrompre l’événement. Il ne s’agissait donc pas d’une action de boycott à proprement parler, mais d’une perturbation directe. Celle-ci n’était pas totalement pacifique (fumigènes allumés dans un lieu clos recevant du public, ce qui aurait pu avoir de graves conséquences ou provoquer un mouvement de foule), comme on a pu le lire par endroits. Cette opération était accompagnée d’un tract très confus intitulé « Pas de musique pour les colons, mort à l’occupation » qui met sur le meme plan les réfugiés juifs allemands ayant fondé l’orchestre en 1936 après avoir échappé aux persécutions nazies que les « colons européens » et appelle à la « décolonisation totale de la Palestine, de Gaza à la Villette » (sic). Face à cette interruption, la réaction d’une partie du public a été violente : des militant·es ont été frappé·es, ciblé·es par des projectiles, poursuivi·es dans les gradins, etc. La police a ensuite procédé à l’interpellation de quatre d’entre eux. Il semblerait que des personnels d’accueil et de sécurité aient également été pris à partie par des spectateurs.
Nous condamnons les violences. Nous pensons également que le boycott, pour être efficace et progressiste doit se garder de toute action mettant en danger les personnes et s’inscrire dans un objectif stratégique clair, visant la lutte binationale contre la colonisation. Dans cette perspective, le boycott est alors un moyen de lutte légitime. Soutenant des organisations comme Standing Together qui luttent pour la paix et la justice et qui construisent des mobilisations binationales, nous estimons qu’il devrait cibler avant tout les institutions d’État et les Israélien·nes qui soutiennent le massacre commis à Gaza et la colonisation et non l’ensemble des Israélien·nes de manière indifférenciée.


