Francesca Albanese – Pourquoi son invitation interroge ?

Texte co-signé avec le collectif Golem, le Réseau d’Action contre l’Antisémitisme et tous les Racismes, et l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide.

Plusieurs librairies indépendantes et lieux militants ont accueilli ou s’apprêtent à accueillir Francesca Albanese pour présenter son ouvrage Quand le monde dort (Librairie Résistances, Librairie Petite Egypte, Théâtre Bertelot & Editions Libertalia La Fab’, Forum des images).

Au regard de ses prises de position publiques, passées comme récentes — dont un grand nombre figurent précisément dans l’ouvrage qu’elle vient promouvoir — nous souhaitons attirer l’attention sur un ensemble de déclarations qui soulèvent de sérieuses questions pour toute structure attachée au féminisme, à l’antiracisme, au refus du complotisme et aux valeurs antifascistes.

Nous condamnons par ailleurs la répression que Francesca Albanese subit, qu’il s’agisse des sanctions américaines ou des multiples menaces de mort, absolument inacceptables, dont elle fait l’objet. De telles méthodes nuisent aux débats nécessaires au sein du camp progressiste. Elles ne font que renforcer les positions au lieu d’encourager une remise en question. Nous affirmons au contraire qu’il est essentiel de viser, chaque fois que possible, la confrontation d’idées et la critique interne.

Déclarations antisémites passées, et largement relativisées aujourd’hui.

En 2014, Francesca Albanese écrivait que l’Amérique était « soumise au lobby juif ». Dans son livre, elle qualifie ces propos de simple « maladresse ». Elle affirme ensuite être victime d’une « instrumentalisation de l’antisémitisme », invoque ses « amis israéliens » comme caution, disant qu’ils constituent son « armure », et soutient que seule l’extrême droite serait réellement antisémite. Comme si reconnaître la persistance et la gravité de l’antisémitisme d’extrême droite dispensait de voir qu’il peut aussi exister, sous d’autres formes, dans certains espaces se réclamant de la gauche ou des mouvements d’émancipation.

Relais de théories complotistes

Francesca Albanese a relayé par le passé des thèses attribuant le 7 janvier 2015 à la CIA et au Mossad, sans s’en excuser à notre connaissance. De telles prises de position relèvent du complotisme — un carburant historique de l’extrême droite.

Minimisation des violences sexuelles commises le 7 octobre 2023

Dans son livre, Francesca Albanese qualifie les viols de masse commis contre des femmes israéliennes le 7 octobre d’« accusations jamais vérifiées ». Une formulation qui, loin de soutenir les victimes palestiniennes, contribue à invisibiliser l’ampleur des violences sexistes pourtant largement établies aujourd’hui.

Une approche incapable de reconnaître toutes les victimes

Le 28 septembre 2025, lors d’une rencontre publique, Francesca Albanese a publiquement tancé le maire de Reggio Emilia pour avoir déclaré que « la fin du génocide ET la libération des otages sont des conditions nécessaires pour ouvrir —autant que possible — un processus de paix », allant jusqu’à l’exhorter à ne plus jamais tenir de tels propos. Sa position ne témoigne pas seulement d’une vision autoritaire et d’une intolérance inquiétante : elle révèle également son incapacité à reconnaître la souffrance de toutes les victimes, et notamment celle des otages israélien·ne·s et de leurs proches — comme si l’humanité des israélien·ne·s pouvait être effacée du simple fait de leur nationalité.

Déni d’agentivité politique aux Palestinien·ne·s

Albanese présente le 7 octobre comme une fatalité historique plutôt que comme le résultat de choix politiques du Hamas et du Jihad islamique. Ce récit, loin d’être anticolonial, reproduit une vision paternaliste où les Palestinien·nes ne seraient jamais sujets politiques mais toujours de simples objets des forces historiques — un imaginaire problématique, hérité d’une vision raciste, et profondément condescendante.

Comparaison du Hamas aux partisans antifascistes italiens

Dans son livre, elle compare le Hamas aux résistants antifascistes italiens. Assimiler un mouvement politico-religieux autoritaire, sexiste, homophobe et antisémite à des combattants internationalistes et antifascistes salit la mémoire de ces militant·es et brouille les repères indispensables aux luttes d’aujourd’hui, notamment contre l’extrême-droite.

La situation dramatique vécue par les Palestinien·nes de Gaza exige une solidarité sans faille. Or, chaque expression d’antisémitisme ou de complotisme affaiblit cette solidarité en offrant au gouvernement israélien et à ses relais le prétexte d’en détourner le sens et d’en disqualifier les acteurs.

Nos organisations se tiennent disposées à rencontrer les structures qui le souhaiteraient afin de nourrir une réflexion commune et un échange serein sur ces enjeux.